Déclaration du Gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains, suivi d’un débat

Afrique - Déclaration du Gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains, suivi d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, au Sénat - Intervention de Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères (Paris, 21/11/2023)

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, il est important de débattre dans cet hémicycle des relations que la France entretient avec les pays d’Afrique. Nous l’avions déjà fait le 6 juin dernier, et je me réjouis que nous le fassions de nouveau aujourd’hui. Il s’agit en effet d’une priorité de notre politique étrangère, et il est donc légitime d’y associer pleinement la représentation nationale.

Tout aussi légitimes sont les questionnements qu’ont pu susciter les différentes crises qui se sont succédé au Sahel. Je reviendrai plus en détail tout à l’heure sur notre action depuis dix ans concernant cette zone, mais je veux tout d’abord insister sur un point essentiel : l’attitude à notre égard de trois juntes militaires ne doit pas occulter les bonnes relations, je dirai même les très bonnes relations, que nous entretenons avec l’immense majorité des 54 pays africains. Ce serait une erreur grave que de réduire l’Afrique, qui est diverse et vaste, au seul Sahel.

Je commencerai par ce qui concerne nos relations avec la grande majorité des pays africains, donc par ce qui va bien, plutôt que par le Sahel.

Depuis 2017, sous l’impulsion constante du Président de la République, nous avons voulu renouveler notre politique à l’égard du continent africain, et ce renouvellement porte ses fruits.

Vous vous demandez peut-être, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, pour quelle raison l’Afrique constitue l’une des grandes priorités de notre diplomatie. La réponse réside dans un constat simple : c’est un continent qui émerge, sur le plan économique, sur le plan diplomatique et sur le plan démographique, bien sûr, avec une population qui dépasse déjà un milliard d’habitants. Celle-ci est même en passe de doubler d’ici à 2050 et de quadrupler d’ici à 2100, pour représenter le quart environ de la population mondiale.

Dans les années à venir, l’Afrique va compter de plus en plus dans les grands équilibres du monde, dans la croissance mondiale, dans la création, dans l’innovation. C’est aussi là que se joue l’avenir de la francophonie, et je parle d’un continent où vivent plus d’un million de Français, dans nos collectivités de Mayotte et de La Réunion, sans oublier nos 130.000 compatriotes qui résident dans des pays d’Afrique subsaharienne.

Parce que nous avons besoin de nos partenaires africains pour résoudre les grands défis qui nous attendent, pour la paix, pour la sécurité et pour l’adaptation au changement climatique, il est indispensable que la France noue des liens étroits, solides et confiants avec les gouvernements et avec les sociétés africaines.

Il y a encore quelques années, notre dialogue avec les pays de ce continent se limitait encore trop aux crises régionales qui l’affectaient.

Aujourd’hui, nous entretenons un dialogue étroit et exigeant sur l’ensemble de nos sujets d’intérêt commun : la guerre en Ukraine - nous en avons évidemment beaucoup discuté depuis un an et demi -, le climat, les forêts, la réforme de la gouvernance mondiale. C’est exactement ce que nous avons fait, en juin dernier, à Paris, lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, auquel ont notamment participé plus d’une vingtaine de chefs d’État africains.

Pour autant, la France est toujours aussi engagée pour aider à résoudre les crises du continent, en appui aux organisations régionales. Je pense en particulier aux terribles conflits dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et au Soudan, où nous restons en contact avec les deux camps pour faciliter un processus de paix durable.

J’étais encore hier et ce matin avec mes homologues du Rwanda et de la RDC. Mais la France accompagne également le processus de sortie de crise en Éthiopie, un accord ayant été signé voilà un an. Je m’y suis ainsi rendue en janvier dernier, avec mon homologue allemande, Annalena Baerbock.

Nous pouvons également être fiers du chemin parcouru avec le Rwanda, grâce à un travail de mémoire honnête et à un engagement diplomatique volontariste, qui nous ont permis de relancer nos partenariats bilatéraux.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, notre diplomatie a un objectif principal en Afrique : que la France soit un partenaire crédible, compétitif et également attractif, aussi bien pour les acteurs économiques, les étudiants et les artistes que pour l’ensemble des sociétés civiles.

Il faut le dire et le répéter : nos entreprises sont compétitives en Afrique. Elles le prouvent chaque jour. La France y est aujourd’hui le deuxième investisseur étranger. En quinze ans, le nombre des filiales d’entreprises françaises sur le continent a doublé, de même que nos investissements.

Nous aidons nos start-up, nos PME et les entrepreneurs de la diaspora à y investir, en finançant leurs projets ou en facilitant leur accès au marché africain. J’étais voilà trois semaines au Nigéria : dans cet immense pays de 216 millions d’habitants, qui sera bientôt le troisième le plus peuplé au monde, nous avons doublé nos investissements en dix ans. Il le fallait ; nous l’avons fait !

J’ai bien conscience que ce constat va à rebours de bien des idées préconçues. Les réflexes pavloviens et les images d’Épinal ont un point commun, que je déplore : ils voudraient nous faire croire que tout va forcément mal en Afrique et que la France est forcément à la traîne.

Pourtant, il faut bien se rendre compte que nos jeunesses, qu’elles soient françaises ou africaines, nous demandent de leur construire un monde plus juste, plus vivable, plus durable, et ce grâce à des partenariats. Elles ont raison. Il faut les écouter, car c’est pour elles que nous travaillons.

La réalité de notre politique en Afrique, c’est cette volonté d’investir dans l’avenir, dans les secteurs les plus prometteurs pour l’économie de demain. Il faut avoir à l’esprit que ce continent est le plus jeune du monde, quelque 60% de la population ayant moins de 25 ans.

À cet égard, la priorité donnée aux industries culturelles et créatives est exemplaire. Depuis la bande dessinée jusqu’au jeu vidéo, en passant par l’e-sport ou la création d’univers immersifs, ces industries sont porteuses à la fois de croissance économique, d’émancipation individuelle et de renouvellement de nos imaginaires. C’est pourquoi elles ont un immense potentiel en Afrique. Et c’est pourquoi la France entend se situer comme une partenaire de référence avec les pays africains, qui sont déjà extrêmement prometteurs en la matière.

C’est ce que nous avons entrepris avec le premier forum international Création Africa, qui a réuni à Paris au début du mois d’octobre dernier des centaines de jeunes créateurs français et africains, dont j’ai pu moi-même admirer le talent.

Pour les accompagner, mon ministère a lancé cette année un fonds de 20 millions d’euros, afin que nos ambassades soutiennent directement les artistes et les créateurs du continent qui veulent développer leurs entreprises sur ce créneau des industries culturelles et créatives, tant régionalement qu’internationalement. Enfin, avec la future Maison des mondes africains, nous voulons que Paris devienne l’un des cœurs battants de la créativité africaine.

De manière plus classique, la France reste un partenaire crédible de l’émergence du continent africain par son investissement solidaire.

Depuis 2017, notre aide publique au développement est passée de 10 à 15 milliards d’euros annuels, avec plus de 5 milliards d’euros par an pour l’Afrique. Désormais quatrième bailleur mondial, notre pays a dépassé le Royaume-Uni. Nous sommes surtout le seul État à avoir augmenté ses financements en direction du continent africain l’an dernier.

Notre attractivité reste aussi très importante pour les étudiants africains, c’est-à-dire pour les élites du continent de demain. La France est leur première destination étrangère. Ils sont désormais près de 95.000 à faire le choix de nos universités, soit une augmentation de 40% depuis 2017.

Je salue le travail remarquable qu’accomplissent nos ambassades, jour après jour, pour faire la promotion des études en France et pour attirer des étudiants anglophones en complément des étudiants francophones. J’ai pu en dresser le constat, en juin dernier, lors de mon déplacement en Afrique du Sud. Nous attirons ainsi en France beaucoup plus de jeunes qu’auparavant.

La France est aussi résolument du côté des démocrates africains. Cela ne signifie nullement donner des leçons ni s’ingérer dans les affaires intérieures : il s’agit d’aider les acteurs engagés de la société civile, comme la Fondation de l’innovation pour la démocratie, dirigée par le professeur Achille Mbembe, mais aussi tous les influenceurs et journalistes africains qui luttent contre la désinformation, pour une information fiable et de qualité, condition sine qua non de l’existence de sociétés ouvertes et démocratiques.

J’en viens à la question des visas, que vous aborderez sans doute. J’ai évidemment bien conscience des griefs classiques qui sont formulés autour de la délivrance des visas. Nous rénovons en ce moment même notre politique, pour mieux atteindre ensemble nos objectifs d’attractivité, de rayonnement et de prévention de migrations illégales, dans le cadre d’une feuille de route dont nous avons fixé les contours avec Gérald Darmanin, en nous inspirant du rapport fait par M. Hermelin.

Depuis les engagements pris par le Président de la République à Ouagadougou en 2017, réitérés au Sommet de Montpellier en 2021 et encore en février dernier dans son grand discours sur l’Afrique prononcé à l’Élysée, nous réinventons notre manière de travailler avec nos partenaires africains.

Nous voulons bâtir des partenariats respectueux, responsables, où chacun assume ses intérêts réciproques sans fard. Il faut que ces partenariats soient empreints de respect, d’écoute et de dialogue. Cela implique parfois de briser certains tabous, comme celui de la restitution des oeuvres d’art, ou de regarder notre passé en face, comme nous l’avons fait avec le Rwanda ou avec le Cameroun.

Enfin, nous devons nous appuyer sur nos atouts, qui nous distinguent de nos voisins : je pense notamment au rôle de nos diasporas, mais aussi, alors que nous accueillerons en 2024 le Sommet de la francophonie - nous venons de reprendre le témoin à la conférence interministérielle de Yaoundé –, à cette belle langue française que nous avons en partage avec des millions et des millions d’Africains.

J’en suis convaincue, cette méthode est la bonne. Le Gouvernement la poursuit sans relâche depuis 2017, tous nos agents déployés sur le continent la mettant en œuvre avec détermination et conviction.

Cependant, j’en appelais tout à l’heure au devoir de lucidité. À ce titre, il faut donc aussi considérer ce qui se passe au Sahel, c’est-à-dire au Burkina Faso, au Mali et au Niger, trois pays sur cinquante-quatre, j’y insiste, mais trois pays tout de même, trois relations complexes sur lesquelles je veux maintenant revenir.

Depuis dix ans, notre pays a consenti de très importants efforts, sur les plans militaire, financier, politique et diplomatique, jusqu’au sacrifice de nos soldats. Le ministre des armées s’attachera après moi à nous rassembler tous dans un hommage à nos forces armées, mais je veux en cet instant saluer la mémoire de ceux qui se sont battus pour nos valeurs et nos idéaux. Je les remercie de leur courage.

En 2013, à la demande des autorités maliennes et des pays de la région, le Président de la République, François Hollande, avait pris la décision courageuse d’engager nos forces armées. Nos militaires ont combattu le djihadisme avec bravoure, et ils ont contribué à éviter que le Mali ne devienne un État terroriste. Nous devons être fiers de ce qui a été accompli à cet égard.

J’entends parfois que nous aurions trop investi sur le volet militaire et négligé le développement et la diplomatie. Je vous le dis clairement : c’est faux !

Notre investissement pour le développement du Sahel depuis 2013 a été massif. Ce sont 3,5 milliards d’euros d’aide bilatérale en dix ans, à 80% sous forme de dons, qui ont été apportés à cette région. Entre 2012 et 2022, notre aide annuelle pour le Sahel a tout simplement doublé. Non seulement il n’y a pas eu de désengagement, mais il y a eu plutôt un renforcement de notre action. Aussi, que l’on ne dise pas que nous avons négligé le volet développement !

Parallèlement, la France a investi un capital diplomatique considérable, à Bruxelles, notamment, pour convaincre les Européens de se rapprocher de nos vues et de l’importance d’aider cette région. C’est ainsi que plus de 7 milliards d’euros d’aide européenne ont été apportés au Sahel depuis dix ans. Ils se sont ajoutés aux 3,5 milliards d’euros que j’ai cités précédemment.

Il y a aussi eu l’intervention directe, y compris militaire, de certains partenaires européens, qui étaient jusqu’alors rarement présents en Afrique. Je veux citer notamment l’Estonie et la République tchèque, qui sont intervenues dans Takuba, ou encore l’Allemagne, dans la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). L’Alliance Sahel, quant à elle, nous a permis de fédérer vingt-sept bailleurs internationaux, qui ont investi comme jamais dans la région.

Nous avons également accru nos efforts diplomatiques auprès de l’ONU, pour créer la MINUSMA, puis renouveler chaque année son mandat. Au moment où les derniers Casques bleus quittent le Mali, dans des conditions extrêmement difficiles, et alors que 310 d’entre eux ont perdu la vie depuis 2013, je veux saluer le travail mené par cette mission des Nations unies.

Enfin, et surtout, pourrait-on dire, nous n’avons ménagé aucun effort pour convaincre les autorités maliennes de mettre en oeuvre l’accord d’Alger, d’améliorer la gouvernance et de rétablir les services de l’État sur tout le territoire. En effet, s’il y a bien un enseignement à tirer de la crise au Sahel, c’est que la gouvernance est fondamentale. Les partenaires extérieurs que nous sommes, même crédibles, fiables et proches, peuvent aider, encourager et inciter, mais ils ne peuvent ni ne doivent se substituer aux autorités locales.

Aujourd’hui, les coups d’État survenus au Mali, au Burkina Faso et, dernièrement, au Niger, fragilisent tous les efforts consentis depuis 2013. La situation sécuritaire s’est dégradée ; la crise humanitaire est dramatique et les libertés et les droits de l’Homme reculent jour après jour. J’ajoute que le choix de Wagner, qu’a fait notamment le Mali, est celui de la prédation économique et des crimes de guerre, qui sont dûment documentés.

Contrairement à ce que voudrait nous faire croire leur propagande, ces juntes ne sont pas motivées par une volonté de rupture avec la France. Elles sont en réalité dans une logique de rupture avec l’ensemble de la communauté internationale, à commencer par leurs voisins, les organisations régionales, et jusqu’aux Nations unies. Ce n’est pas tant la France qui est visée que tout un système international de coopération et de valeurs que ces régimes récusent.

Pour ce qui nous concerne, face à de tels régimes, nous ne pouvons pas maintenir nos coopérations comme si de rien n’était. Nous ne pouvons pas poursuivre la lutte antiterroriste avec des putschistes. Nous ne pouvons pas financer des projets de développement qui les entretiennent. Bref, nous n’avons pas vocation à les entretenir dans leurs errements.

Bien sûr, nous maintenons notre aide humanitaire, pour ne pas faire payer aux populations les comportements de leurs dirigeants du moment. Contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là, nous maintenons nos coopérations avec les sociétés civiles, avec les étudiants et avec les artistes. Je veux le dire clairement : ils sont toujours les bienvenus en France. Nous tenons à maintenir ces liens.

Aujourd’hui, il est de notre responsabilité de prendre de la hauteur, pour examiner en toute lucidité la situation.

Toute la région est déstabilisée. Depuis notre retrait militaire du Niger, après dix années de lutte antiterroriste française au Sahel, les choses ne se sont pas améliorées, au contraire. Nous devons maintenant repenser collectivement l’architecture de sécurité dans cette partie du continent. Nous nous y employons avec les pays africains, ainsi qu’avec nos partenaires européens et notre allié américain.

Une chose est sûre, ce n’est plus à la France de porter seule, ou presque, la lourde charge de l’action antiterroriste en Afrique de l’Ouest. C’est aux pays de la région de fixer le cap et aux partenaires de les soutenir. La France prendra sa part, mais dans un cadre collectif.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, avant de conclure, permettez-moi de réaffirmer haut et fort l’importance des relations entre la France et les pays africains. Nous mettons tous les moyens possibles au service de cette ambition. Ainsi, à la suite des États généraux de la diplomatie, j’ai pris des mesures pour renforcer le nombre de nos personnels sur le continent, dans nos chancelleries, dans nos services de communication et dans nos services d’action culturelle.

J’ai voulu également redonner des moyens financiers aux ambassades, via le Fonds Équipe France et le Fonds d’appui à l’entrepreneuriat culturel, évoqué tout à l’heure, pour qu’elles mènent sur place, sous l’autorité des ambassadeurs, de petits projets visibles, rapides et importants pour nos publics prioritaires.

J’ai aussi pris des mesures pour valoriser la filière africaniste au Quai d’Orsay, avec désormais un concours dédié et de nouvelles langues proposées aux épreuves, à savoir le peul, le haoussa, le mandingue et le wolof. Nous nous efforçons aussi de diversifier davantage le recrutement et d’attirer plus de talents issus de nos diasporas.

C’est avec un sentiment de profonde reconnaissance pour les agents de mon ministère qui sont déployés en Afrique que je veux conclure.

Ils travaillent parfois dans des conditions très difficiles. Quand nos ambassades sont violemment attaquées, comme à Ouagadougou ou à Niamey, quand il s’agit d’évacuer des civils sous le feu de la guerre, comme à Khartoum, dans tous ces moments de vérité, lorsque l’engagement professionnel implique des questions de vie ou de mort, ils savent toujours faire preuve d’un courage sans faille, d’un sens de l’État et d’un dévouement à toute épreuve. Qu’ils en soient remerciés./.

(Source : site Internet du Sénat)

Dernière modification : 12/12/2023

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